- Attaque !
Le jeune garçon redresse la tête, montre les dents et laisse s'échapper un grognement. Sous les ordres de son maître il attaque. Il se lève et fonce vers sa cible à une allure folle. Il assène sa proie d'un coup de poing bien placé au niveau de l'estomac, le prend par les épaules pour arriver dans son dos et lui tient la tête entre ses mains sales et agiles. Il attend l'ordre final. Le maître lèvre deux doigts discrètement et un crac se fait entendre. La nuque de la cible est brisée. Le corps s'écroule lourdement au sol et le garçon retourne s'accroupir derrière son maître, comme si rien ne s'était passé.


Il y a de cela des années une jeune femme d'une immense beauté donna naissance à un fils. Sur son visage un sourire. Elle était heureuse, vraiment heureuse. Mais l'homme qu'elle avait rencontré près d'un an auparavant laissa finalement sa véritable nature reprendre le dessus. Alors que la chinoise se reposait, lorsque l'enfant eut près d'un an, l'homme décida de partir avec lui, laissant la femme qu'il avait prétendu aimer derrière lui. Un mensonge ! Tout ça n'avait été basé que sur un mensonge. L'homme était le fils d'une famille de coréens immigrés aux Etats-Unis. Il faisait du trafique et participait à un réseau de jeux illégaux. Il avait fait croire à cette jeune femme qu'il l'aimait comme il n'avait jamais aimé personne. En réalité ce n'était pas elle qu'il aimait mais le plan qu'il avait derrière la tête depuis l'instant où il avait discrètement découvert ce qu'elle était : un loup-garou. Il avait entendu dire qu'un trafiquant coréen payait bien en échange de certaines... choses d'exception. Ce soir la il s'était donc rendu chez lui, le bébé dans les bras. Il n'hésita pas à vendre son fils contre une poignée d'argent. Il assura à l'homme que cet enfant était exceptionnel, qu'il pourrait en faire un véritable chien de garde lorsqu'il serait grand. Qu'il lui suffirait de l'élever comme n'importe quel chiot de combat. C'est ce qu'il fit.
N'ayant aucun nom à lui donner l'homme le nomma chien dans sa langue natale, ce qui donna donc Gae. Il le dressa plus qu'il ne l'éleva. Il en fit un parfait chien de combat, le faisant participer à des combats organisés pour le tester. L'enfant se révéla rapidement très prometteur. Il avait une ossature exceptionnelle, une résistance phénoménale et une force hors du commun. Les techniques de combat qu'on lui enseigna finirent de parfaire à ces capacités. Gae fut bientôt utilisé pour des affaires plus personnelles que le simple spectacle. On lui enseigna l'obéissance à des mots bien précis tels attaque, couché, stop, attends. Et bientôt le garçon montra une autre particularité. Les soirs de pleine lune il se mit à tourner en rond dans sa cage, à gémir puis à se taire pour finalement grogner comme il n'avait jamais grogné avant. Il se transformait en monstre. Tout comme sa mère avant lui il était devenu un loup-garou ce qui ne lui empêcha pas d'être toujours considéré comme un chien.
Gae s'en contenta. Il n'avait jamais connu que cela et semblait bien le vivre. Du moins il vivait. N'était-ce pas la le plus important ? Et un jour un malheur immense les frappa. Son maître se sentait de plus en plus faible depuis quelques semaines déjà. L'effort semblait l'atteindre plus que quiconque. Finalement il tomba. Comme ça ! Il s'écroula de tout son long, se tenant simplement la poitrine. Il s'écroula au sol, se fracassant le nez contre le béton mais ne le sentit pas. Il ne sentirait plus jamais rien après ça. Il était tombé raide mort, c'est le cas de le dire, laissant derrière lui un Gae seul et en pleure, une plainte s'échappant de sa gorge pour monter jusqu'au ciel.





- Qui es-tu ? Viens, n'ai pas peur...
Elle avait la voix douce, un sourire tendre sur les lèvres et un regard dépourvu de toute haine, peur ou angoisse. Elle est la, accroupi à la hauteur du garçon, la main tendue dans sa direction, paume vers le ciel. Elle se contente d'attendre. Le garçon reste dans son coin, recroquevillé sur lui même, méfiant mais perplexe devant une si étrange sensation. Elle n'a rien d'hostile. Ni l'apparence ni la démarche. Elle se contente de rester la, le regard planté dans le sien. Lorsque le garçon se décide à faire un pas elle ramène sa main vers elle. Méfiant il recule à nouveau, se heurtant au mur de bois derrière lui. Elle lui tend à nouveau la main avec cette fois si un bout de pain en son centre. Il est encore chaud, une légère vapeur s'en échappe et une odeur délicieuse, douce et chaude à la fois. Il fini par s'approcher et d'un geste rapide disparaît avec le morceau de pain.


Cela faisait près de trois semaine que l'ambulance était arrivée, avait récupéré le corps sans vie du maître et était repartit, sans chercher à savoir ce qui se trouvait de l'autre côté de la porte close. Derrière cette porte : Gae. Le jeune garçon attendait, en silence comme on le lui avait souvent ordonné. Il était perdu, complètement perdu. Quelle sensation étrange que d'être paumé dans un lieu pourtant si familier. Puis les jours avaient passés. Ensuite une semaine, bientôt deux et enfin débuta la troisième semaine de solitude. Gae sortait de sa cache pour chasser ce qu'il pouvait chasser, trouver des choses à manger. Une miette de pain volée par une souris, le reste d'une barre chocolatée ou la souris elle-même, morte depuis deux jours dans un piège. Et finalement la maison avait été rachetée. Par une petite famille toute simple, banale. Parmi les nouveaux habitants il y avait une mère et sa fille unique, atteinte d'une grave maladie du sang. Les médecins ne lui avaient donnés que quelques semaines encore à vivre à moins que l'opération qu'elle venait de subir ne change tout. Mais les chances étaient maigres, vraiment très maigres. Ayant tout vendu pour tenter l'impossible la famille avait dut opter pour une maison plus petite, une miteuse maison de campagne vraiment petite donc l'ancien propriétaire et sa réputation avait contribué à en baisser le prix. La première nuit elles se contentèrent de couvertures amassées pour former un lit de fortune. La fille entendit des bruits étranges mais finit par s'endormir, se disant qu'il devait y avoir des renards dans les environs. Le lendemain cela dit, tandis que la mère et la fille étaient occupées à nettoyer le vieil hangar les bruits se firent à nouveau entendre. Puis une silhouette fut aperçue. La jeune fille tenta de la distinguer. C'est ainsi qu'elle découvrit un jeune homme amaigris, crasseux et méfiant. On aurait dit un chien blessé, effrayé. Elle réussit à l’appâter, à le faire sortir de sa cachette et à lui toucher le haut de la tête. Sans animosité aucune. Tout doucement elle l'apprivoisa. Au bout d'une semaine il restait près d'elles pour manger la nourriture qu'elles lui apportaient. Finalement il s'approcha lorsqu'elles ne lui donnèrent rien. Il restait planté la, à les observer étendre le linge sous le ciel dégagé, à entretenir leur petit jardin ou à repeindre la clôture.
Un jour la jeune fille parvint à l'attirer jusqu'à l'intérieur de leur maison avec l'odeur du repas. Il venait, mangeait et repartait. Puis elle parvint à lui toucher la tête, un sourire bienveillant aux lèvres. Elle le félicitait, l'encourageait et au bout d'une semaine supplémentaire elle parvint à lui frotter le visage et à lui décrasser les cheveux. Une semaine de plus et il ressemble enfin à un humain. Les cheveux coupés, les ongles taillés, le visage propre et des vêtements sans trou. La jeune fille qui ne devait pas vivre plus de quatre semaines avait déjà atteint une année. Un véritable bonheur ! Et l'apprentissage du jeune garçon se poursuivait, calmement mais avec de grandes avancées. Il apprit le vocabulaire de base lui qui ne s'était jamais exprimé que par grognements. A fille et la mère lui apprirent également la politesse. Se servir d'une cuillère puis de couverts, s'essuyer la bouche, boire en soulevant le verre et sans laper l'eau, dire s'il vous plaît, merci, bonjour, au revoir, ... C'était l'élève parfait ! Vif d'esprit quoiqu'un peu tête en l'air parfois, curieux, attentif.
Et lorsque tout semblait à nouveau aller pour le mieux, lorsque le jeune homme semblait devenu humain, doté de parole mais en n'en usant pas plus que nécessaire, la pire chose qui puisse se produire se produisit. Un malheur immense le frappa une fois de plus, comme une malédiction. La jeune fille partit pour l'hôpital... mais n'en revint jamais. Sa mère se contenta de faire ses paquets et de partir de cet endroit qui lui rappelait finalement trop sa fille avec ce garçon dans les parages. Elle partit sans un mot, laissant une fois de plus Gae à son propre sort, estimant qu'il était suffisamment humain et débrouillard pour retomber sur ses pieds une fois encore. Elle lui laissa simplement une enveloppe sur la table du salon. Dans cette enveloppe un peu d'argent.





- Excusez-moi, je suis vraiment navrée ça m'a glissé des mains...
La jeune femme esquisse un petit sourire désoler. Elle vient de renverser un verre de vin sur le jeune homme. Elle tente de s'excuser, essaye d'essuyer ses dégâts avec la serviette du bar. Gae lui attrape le poignée pour la stopper et attend qu'elle lève les yeux sur son visage pour afficher un petit sourire légèrement en coin, plongeant son regard dans le ciel et lui assure que ce n'est rien, qu'il lui suffira de racheter un nouveau costume pour remplacer celui-ci, qu'il n'a aucune valeur pour lui du moins pas autant que cette rencontre. Après quelques paroles échangées ainsi que quelques verres ils sortent ensemble du bar hôtelier, se dirigent vers un coin plus.... tranquille.

Elles étaient partis, toutes les deux. Gae s'était retrouvé seul une fois de plus. C'est la que tout commença à partir en vrille... Laissé à lui même, triste et avec un sentiment de plus en plus fort d'abandon il finit par péter les plombs à sa façon bien à lui. Estimant qu'il devait couper court à tout souvenir blessant dans ce lieu maudit Gae décida d'affronter la grande ville. Il prit l'enveloppe qu'on lui avait laissé, les quelques vêtements qu'il lui restait et alla louer une chambre dans un petit motel. Le lendemain il acheta des vêtements plus avantageux et commença son plan. De l'argent, il lui fallait plus d'argent. C'était ainsi qu'il pourrait obtenir un appartement à lui, s'acheter autre chose que de la nourriture en boite et qui sait peut-être avoir un véhicule pour circuler librement.
Il s'était mit à son avantage, avait veillé à être présentable constamment, faisait attention à ses manières et le voila lancé. Il entrait dans les grands hôtels avec leur bar privé, s'y accoudait et attendait qu'une jeune femme vienne l'aborder. Arnaqueur, voila sa nouvelle « occupation ».  Oh mais pas un simple arnaqueur ! Ayant le plus grand respect pour ce qu'aurait du être la gente féminine si elle ressemblait à son ancien amie il devint arnaqueur de croqueuses de diamants... et il y en avait étonnamment beaucoup... Il leur faisait croire qu'il les aimait, qu'elles leur plaisaient. Quel jeu d'acteur ! Et lorsqu'elles pensaient avoir ce qu'elle désiraient, fouillant dans ses affaires à la recherche de l'argent tant attendu il les surprenait, les faisait chanter et récoltait l'argent qu'elles avaient dérobées à d'autres. Bientôt il fut en état de pouvoir se payer autre chose qu'une chambre dans un petit motel. Au bout de peu de temps il réussit à s'octroyer une moto et l'équipement qui va avec. Changeant souvent de ville une appartement ne lui semblait pas encore nécessaire, se contentant des chambres d'hôtel. Le chien était devenu un loup mais gardait encore du chien en lui... Un bon fond, une certaine affection pour les choses simples de la vie... Certains craintes restèrent comme celle des ceintures en cuir que l'on utilise pour corriger quelqu'un ou encore de ces mots tant redoutés qui malgré le temps avaient toujours une influence sur lui, réveillant un vieux réflexe qu'il se trouvait incapable d'endormir complètement. Oh oui, le chien pouvait encore devenir violent, être le parfait chien de garde qu'il avait été autrefois et malgré son éducation tardive mais efficace il restait ce chien au fond de lui... Voulait-il seulement changer ? Peut-être pas tant que ça...
Se laissant porter par son instinct le loup-garou arriva à Covergroove, une ville pleine de promesse. Il sent que quelque chose l'y a amené, quelque chose de sanguin...